4924 km nous ont séparées pendant 4 mois. J'étais à Dakar au Sénégal et Lætitia était à Brouville en France.
Là-bas, je dessinais, je photographiais, j'écrivais, j'enregistrais, puis j'envoyais mes télégrammes.
Lætitia m'a répondu en poèmes, sur cette ville qu'elle découvrait au fil de ces notes.
La collaboration continue, toujours à distance. Le retour fait autant parti du voyage que le voyage lui-même.
"Soudoul gnibi touki dou nekh."

jeudi 3 avril 2014

à l'image de ses poteaux électriques

Ce matin, je suis partie tôt. J'ai quitté Yoff avec mes écouteurs sur les oreilles, Victor Démé en fond sonore, sa guitare, sa voix et son rythme apaisant pour me calmer. J'ai marché sur la plage, cette plage de Yoff dont je ne me lasserai jamais. Au loin, il n'y a plus d'horizon, la mosquée de Camberène flotte au dessus de la mer, qui ne fait qu'un avec ce ciel, terrain de jeux des éperviers et des avions. A chaque fois, je suis émerveillée, à chaque fois je reprends les mêmes photos. Mais cela n'a pas réussi à me calmer.

J'étais énervée, fatiguée par ce pays, fatiguée qu'on m'appelle la toubab, la blanche en wolof, à tout bout de champ, fatiguée qu'on ne pense qu'à me demander si je suis mariée (d'ailleurs j'ai décidé de l'être mais cela ne change pas grand chose), fatiguée que la plupart des relations humaines soient biaisées à cause de ma couleur de peau, de l'argent que j'ai soit-disant, de la possibilité de m'arnaquer, fatiguée de passer la moitié de mon temps à attendre, fatiguée.

Fatiguée de risquer de me faire écraser par un taxi ou percuter par une charrette, de me devoir me comprimer en 12 pour laisser passer quelqu'un dans le bus, de manquer de me casser la jambe parce que le bus redémarre alors que je suis entrain de descendre, de me faire doubler à la boutique parce qu'il faut jouer des coudes pour se faire servir. A c'est sur, au moins, ici, j'apprends à me faire entendre et à ce que personne ne me marche sur les pieds, et en wolof SVP!

Ce matin, dans le bus, j'ai croisé un aveugle. Comment être aveugle à Dakar... mais comment...
C'est risquer sa vie à chaque instant, il n'y a aucune ligne droite, aucun repère qu'il ne peut suivre, chaque chemin est semé d'embûches, de gravas, de sables, de trous, de moutons. Les trottoirs sont des espaces de travail pas de circulation. Marcher sur le trottoir? non, non, on est attiré irrémédiablement par la route, on ne marche que sur la route et à partir de 17h, à la médina, même sur la route il est difficile de marcher. Celle-ci se transforme en terrain de foot. 4 cailloux et le tour est joué. Mais le taxi arrivera à passer.

Hier, le bus a pris le rond point à l'envers, un autre a roulé sur la piste de terre à côté de la route, un autre s'est arrêté deux fois sur le trajet pour reprendre de l'essence à la pompe. Avant-hier, la fenêtre qui donne sur le patio est tombée dans la cour alors que j'essayais de la fermer à 23h. Elle est venue s'exploser un étage plus bas après avoir été légèrement ralentie par quelques fils à linge. Pendant la journée, la famille du rez-de-chaussée cuisine, lave, joue dans cette cour. On a frôlé le drame.


Ce matin, après avoir marché sur la plage, j'ai pris la route de la ville, j'ai vu encore au-dessus de moi ces poteaux électriques anarchiques, emmêlés, un tas de nœud impossible à dénouer, dangereux, où chacun vient comme il le souhaite se brancher, à l'arrache. Je crois que ce pays est à l'image de ces poteaux. Un tas de nœuds. En tout cas, je le vis comme cela en ce moment.

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